La langue française dans les services de l’Etat
En date du 20 novembre 2024, le Conseil d’Etat a publié un rapport destiné au Grand Conseil concernant l’utilisation du français académique dans les services de l’Etat. Ce rapport répond au postulat de Yann Glayre et consorts déposé trois ans plus tôt.
Les signataires dénoncent les manœuvres qui visent à «déconstruire le langage à des fins idéologiques». La diffusion de l’écriture dite inclusive se manifeste par la multiplication de signes (points médians, tirets, barres obliques) qui complique l’intelligibilité de la langue.
Comme nous avons déjà ferraillé contre ces absurdités, nous renvoyons nos lecteurs à nos articles antérieurs1.
Les postulants s’appuient sur une déclaration de l’Académie française (26 octobre 2017) qui stigmatise «une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité». L’institution du Quai de Conti rappelle qu’elle a pour mission de de codifier les évolutions naturelles de la langue, non d’être gardienne de la norme.
Le rapport du Conseil d’Etat ne conteste pas l’autorité de l’Académie française comme régulateur de la langue, afin d’établir des règles communes aux pays francophones. La Constitution du Canton de Vaud affirme que notre langue officielle est le français académique, ce qui exclut les initiatives volontaristes de groupes de pression qui n’ont aucun mandat pour changer les usages communs. C’est pourquoi l’écriture inclusive est explicitement et prudemment rejetée dans l’enseignement obligatoire et post obligatoire, afin de ne pas ajouter à une langue difficile la complexité de nouvelles formes altérées.
Cependant le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes défend des principes autres, sinon diamétralement opposés:
– féminiser ou masculiniser les désignations de personnes;
– utiliser la double désignation (adopter l’ordre de présentation féminin puis masculin, l’accord se fait au plus proche);
– privilégier les terme épicènes;
– utiliser, en dernier recours et avec mesure, le point médian pour les formes contractées destinées à signifier la mixité, et non pas les parenthèses, la barre oblique ou le trait d’union.
A partir de là, les signataires du rapport se livrent en cinq pages à un douloureux exercice de macronisme à la vaudoise pour tenter, en même temps, de concilier les exigences de l’égalitarisme et de l’intelligibilité (la défense du patrimoine, pourtant essentielle, passant au second plan). Les propositions évitent de résoudre le problème en le contournant. Par exemple, cette formulation du CHUV: «Vous êtes un-e patient-e ou un-e proche d’un-e patient-e soigné-e au CHUV…» est imprononçable. Elle rebute les dyslexiques, les non-francophones, les esthètes. Elle est un outrage au bon sens. Que faire? Recourir au langage FALC (facile à lire et à comprendre)? Par bonheur, le charabia s’éclaircit: «Vous êtes une personne soignée au CHUV ou proche de celle-ci…» Et pourquoi ne pas ne pas oser «un proche», ce qui équilibrerait «une personne», puisqu’il s’agit d’être grammaticalement égalitaire?
Les manœuvres pour subordonner la langue à une idéologie, quelle qu’elle soit, hors de son développement naturel, doivent être vigoureusement récusées. Tout est perdu si on laisse s’ouvrir des brèches. Les autorités de notre Canton sont championnes pour annuler une démonstration avec des formules lénifiantes, par exemple: on pourra utiliser le point médian «en dernier recours, et avec mesure». C’est une invitation à faire comme on veut.
Notes:
1 «Cher • ère • s lect • eur • rice • s», La Nation n° 2083 du 10 novembre 2017, et «Des linguistes indécrottables», La Nation n° 2235 du 8 septembre 2023.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La technophilie du Conseil des Etats – Editorial, Félicien Monnier
- Transports au ralenti – Jean-François Cavin
- Croissance administrative – Jean-François Cavin
- Noyade de la littérature? – Jacques Perrin
- Le Lieutenant Conrad – Lars Klawonn
- De quelques croyants et de leurs interactions - Essai de micro-œcuménisme – Olivier Delacrétaz
- Définition et diffusion du wokisme – Lionel Hort
- Têtes de Maures – Le Coin du Ronchon