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Tout, absolument tout, sur Lausanne-Morges

Jean-François Cavin
La Nation n° 2279 16 mai 2025

Le plan d’aménagement Lausanne-Morges (PALM) de 5e génération, œuvre de l’Etat, des organismes intercommunaux et des communes, approuvé par tous, a été envoyé à la Confédération à fin mars. Il s’agit de la nouvelle édition (il y en a quatre précédentes) d’un guide du développement de la région, énumérant les mesures à prendre pour viser à la commodité de la vie et à l’harmonie des lieux, dans les domaines de l’urbanisation, de la mobilité, du paysage, de l’environnement et de l’énergie. Cet ouvrage monumental comprend sept tomes, totalisant 1'496 pages de textes et de tableaux. Il est douteux que quiconque l’ait lu en entier. En tous cas pas le soussigné, reculant devant une besogne quasi surhumaine. De quel droit, alors, commente-t-il ce document? Du droit de celui qui, par son écot fiscal, a co-financé cet énorme et coûteux travail et se demande s’il répond à un souci normal d’efficacité et d’économie.

Face au développement rapide et considérable de l’agglomération, il est sans doute judicieux d’avoir une vue d’ensemble et de définir diverses mesures propres à rendre l’extension urbaine rationnelle, pratique et, autant que possible, agréable et respectueuse de la nature. Il est normal d’associer à ce travail toutes les autorités impliquées dans les décisions à prendre et que celles-ci en tiennent compte dans leur action future. Mais il nous semble que la réalisation va bien au-delà de ce que le bon sens implique.

 

Des bus de l’Ouest à la revitalisation du Riolet

La compilation minutieuse de centaines de mesures prises, en voie d’exécution ou qui restent à prendre laisse des sentiments mélangés. D’abord, beaucoup d’entre elles enfoncent des portes ouvertes, en listant des projets déjà bien connus des communes ou des TL, par exemple la modernisation de la STEP lausannoise ou l’aménagement d’une ligne de bus «à haut niveau de prestation». Comme Pulliéran, j’y trouve des travaux qui sont envisagés depuis longtemps dans ma commune. Et la proclamation d’intentions générales est fréquente: le développement du réseau cyclable, le soin à apporter aux rives du lac, le développement, près des gares, d’interfaces «de qualité» destinées à «améliorer le confort des passagers» (ce qui n’empêche pas Lausanne de maltraiter les automobilistes, les taxis et même les transports publics dans sa vision de la place de la Gare!). Sous cet aspect, il n’y a donc guère d’effet incitatif du PALM.

On y trouve toutefois quelques idées neuves. Citons particulièrement la restructuration et l’intensification du réseau des bus dans l’Ouest lausannois, touchant une demi-douzaine de lignes à prolonger ou à créer. Cette planification résulte du Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL), dont les conclusions sont insérées dans le PALM. Nous ne savons d’ailleurs pas si le PALM a suscité ou encouragé le SDOL, ou si les communes de l’Ouest étaient de toute manière à l’œuvre.

Notre troisième remarque à ce chapitre concerne le foisonnement de mesurettes qui relèvent de l’édilité courante plus que d’une vision d’ensemble. Car le PALM énumère d’innombrables retouches, telles que la création de passerelles pour piétons par-dessus certaines routes (parce qu’il s’agit de favoriser la mobilité douce!) ou la localisation d’un parc à vélos, ou l’implantation de bornes de recharge pour les véhicules électriques, ou le réaménagement d’un carrefour.

C’est ainsi encore qu’est annoncée la revitalisation du Riolet, dont personne n’a jamais vu les flots. Le Riolet est un très modeste ruisselet qui prend sa source sur les hauts de Rovéréaz, suit un cours largement souterrain jusqu’à se jeter dans la Vuachère aux confins de Pully-Nord. Cette opération environnementale majeure contribuera-t-elle à la structure et à l’image futures de l’agglomération Lausanne-Morges? Toujours est-il qu’elle figure à l’inventaire des mesures à prendre en priorité.

 

Utilité de ce catalogue

L’utilité pratique la plus évidente de ce travail est qu’il permettrait d’obtenir des subventions fédérales pour 89 projets, dont le coût total dépasse 700 millions. Car la Confédération conditionne l’octroi de ces aides à la présentation d’un plan d’ensemble. Mais exige-t-elle autant de détails que le PALM en contient, ou les aménagistes vaudois font-ils du zèle? Nous penchons vers la seconde hypothèse en fonction de la teneur du droit fédéral publié, mais nous ignorons la pratique – qui devrait d’ailleurs être contestée si elle dépasse le cadre légal. Ce que nous constatons, c’est que les versements espérés proviendraient du Fonds routier, qu’ils devraient donc concerner des projets routiers (ou ferroviaires s’ils permettent de désengorger la route); c’est l’urbanisation et la mobilité qui sont en ligne de mire; il faut certes tenir compte du paysage, mais sans plus selon les textes; rien qui touche à la «mobilité active» (c’est-à-dire la marche…), ou aux sources d’énergie, ou à la revitalisation du Riolet.

Sur le fond, il y a bien sûr un intérêt réel à synthétiser les éléments les plus importants du développement urbain et à se faire une représentation générale de ce que pourrait – ou devrait – être l’agglomération d’ici dix ou trente ans. La répétition de l’exercice permet de voir si l’on a cheminé dans la bonne direction. Mais cela ne justifie pas de répertorier le moindre des objets et de célébrer à longueur de pages les vertus d’un aménagement à tendance verdoyante.

 

Vision verte et zone grise

Car, à maints égards, les mesures proposées font la part belle aux idées des protecteurs patentés de l’environnement et des ennemis de l’automobile. Priorité aux piétons, aux vélos, aux transports publics; «requalification» de routes à grande circulation (28 projets de ce type, et il faut sûrement entendre par là qu’on va les arboriser en plantations alternées, les garnir d’obstacles, limiter la vitesse des véhicules à moteur); limitation du parcage (que le texte présente comme une «maîtrise de plus en plus affirmée» …), etc. Des décisions de ce type, qui peuvent être judicieuses dans certains cas, ne doivent pas devenir un mantra indiscutable, car il n’est pas certain que cela corresponde aux vœux de la population; cela n’a en tout cas pas été formalisé par des décisions susceptibles de recours ou de référendum.

Quelle est donc la portée juridique du PALM? Officiellement, c’est un document de référence, non contraignant pour les personnes privées, servant à guider les autorités des divers niveaux dans leurs décisions d’espèce. Est-il contraignant pour les communes? Signé par les municipalités, il ne saurait préjuger de l’avis des conseils communaux, voire du corps électoral. Engage-t-il au moins les exécutifs? C’est l’idée, mais le PALM prévoit une jonction d’autoroute à Chavannes-près-Renens; la municipalité l’a signé, mais s’en dédit…

Même s’il n’est pas formellement obligatoire, un tel document pèse sur le cours des choses. A un promoteur immobilier, on dira que tel projet n’est pas conforme au plan et qu’il doit attendre. On est dans cette zone grise du droit où des actes publics, sans avoir force légale, peuvent être invoqués pour bloquer une initiative privée ou la proposition d’un élu minoritaire.

 

Pourquoi faire simple…

… quand on peut faire compliqué? Nos autorités cantonales et communales seraient bien inspirées de se remémorer cet adage dans la suite des opérations. Car la cinquième mouture du PALM sera sans doute suivie d’une sixième, qui ne sera pas moins utile si elle s’en tient, en quelques dizaines de pages, aux projets principaux. Sans quoi nos aménagistes resteront favoris pour l’attribution de la Palme d’Or au festival de la technocratie.

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