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Léon XIV, combien de posts sur X?

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2279 16 mai 2025

Traitant du décès puis de la succession du pape François, la presse occidentale fut incapable de sortir de ses angles de vue habituels. Elle nous a non seulement gratifiés de sa passion de l’anecdote – de la technique d’embaumement du corps du Saint-Père à la composition du fumigène annonçant le résultat du vote – mais surtout de son obsession du «décryptage» politique.

Dans ce dernier registre, nos médias s’intéressèrent en long et en large aux supposées positions du nouveau pontife sur «les grands défis» qui préoccuperaient l’Eglise catholique: la place et le rôle des femmes, la lutte contre la pédophilie, la guerre en Ukraine et à Gaza, les défaillantes finances du Vatican, la crise des vocations.

Sur la forme, et presque sur le fond, ces articles ne différaient pas d’un énième papier sur les finances cantonales, l’attitude de M. Macron sur l’Ukraine, ou une houleuse séance d’un Conseil général vaudois révisant son plan d’affectation. On y parlait de «favoris à l’élection», de «défis majeurs», de «débats relancés». La grille de lecture, comme une rengaine, opposa progressisme et conservatisme et, sans réponse, se contenta «d’équilibrisme».

Les médias approchent l’Eglise catholique – mais les Eglises en général, à commencer par l’Eglise évangélique réformée vaudoise – comme n’importe quel phénomène institutionnel ou social. La dimension spirituelle de son action ne compte que pour masse très négligeable. La matière n’aurait pourtant pas manqué. Pour sa première homélie pontificale, plutôt dense théologiquement, Léon XIV a décrit l’Eglise comme «l’arche du salut qui navigue sur les flots de l’histoire, phare qui éclaire les nuits du monde», dans un contexte où «on préfère à la foi chrétienne d’autres certitudes, comme la technologie, l’argent, le succès, le pouvoir, le plaisir».

Dans la grille de lecture du journaliste occidental de base, le temporel absorbe le spirituel. L’espoir formulé que le nouveau pape puisse être un contrepoids à Donald Trump marquait le sommet de cette absorption. La distinction entre les deux termes – «rendez à César…» – synthétise pourtant le rapport de l’Eglise au politique et est sans doute l’un des éléments les plus structurants de la civilisation occidentale.

L’agitation médiatique consécutive au décès de François n’en fut pas moins saisissante. Seules les élections américaines ou l’invasion de l’Ukraine ont autant concentré l’attention durant les dernières années.

Cette agitation signale le rôle que, sous nos latitudes déchristianisées, on voudrait voir le pape endosser: celui d’une grande conscience universelle et humaniste, portant un message de paix sur un fond égalitaire. Dans cette perspective, la non-ordination des femmes, l’interdiction du mariage aux homosexuels, la structure monarchique de l’Eglise catholique, sont de simples obstacles sur la voie qui verra, enfin, le Vatican être une filiale du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, sous le haut-patronage de Gandhi et du Dalaï Lama. L’annonce de la résurrection du Christ et du triomphe de la vie sur la mort ne sont plus que du décorum rhétorique dispensable. Seuls importent, pour le broyeur médiatique, le spectacle permanent et la morale égalitaire.

Réduite à des problèmes de gestion et exposée aux critiques idéologiques du temps, l’Eglise se voit largement désacralisée, tout en se retrouvant au centre de l’attention.

De ce constat transpire un paradoxe puissant. On voudrait des Eglises sans tradition ni corpus doctrinal ou liturgie, mais on attend quand même qu’elles portent un message. Pourtant, sans ses deux mille dernières années de prière, de prédication et de labeur, l’Eglise ne pourrait pas prétendre occuper la place qui est aujourd’hui la sienne. Et cette place ne dépend pas d’abord de l’écho médiatique donné à son action.

Un danger réside dans le développement d’une délétère dialectique entre journalistes et responsables religieux. Le risque est réel, et déjà partiellement réalisé, que les Eglises finissent par se convaincre que les éléments de langages standardisés et purement temporels des médias modernes doivent en venir à infléchir, voire orienter, leurs doctrine, action et discours. Les trois étant liés.

Un journal n’est pas sur le même plan que la Parole. Il n’a pas, pour lui, l’Eternité.

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