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La crise du Château

Jean-François Cavin
La Nation n° 2276 4 avril 2025

Beaucoup de bruit pour rien?: c’est ainsi qu’on pourrait résumer «?l’affaire Dittli-Kellenberger?», qui vaut à la première le désaveu de ses collègues et la perte du ministère des finances, et à la seconde d’être poussée à une retraite anticipée. Les deux femmes ne s’entendaient manifestement pas?; la haute fonctionnaire, à la tête de la Direction générale de la fiscalité, semble avoir préparé tout un dossier contre la conseillère d’Etat et alerté le gouvernement lorsqu’un épisode délicat lui en fournissait l’occasion. Le Conseil d’Etat n’a pas pu (ou pas voulu??) régler les choses à l’amiable ou imposer une remise à l’ordre. Il s’est ensuivi une expertise confiée à M. Jean Studer, ancien magistrat neuchâtelois.

Le rapport de M. Studer est clair, quoique succinct, dans la description des faits (même s’il ne tient pas compte de certains éléments qui apparaissent ailleurs dans le dossier) et sobre dans ses conclusions, alors que les commentaires oraux du notable neuchâtelois ont parfois dramatisé les choses. Dans son rapport, sur les diverses questions posées quant à des irrégularités possibles, il confirme deux griefs envers Mme Dittli et la blanchit pour le reste?; il confirme deux griefs envers Mme Kellenberger, pour avoir refusé de donner des renseignements à la conseillère d’Etat, sa supérieure hiérarchique, tenue elle aussi au secret fiscal.

Le premier reproche fait à Mme Dittli est d’avoir violé le secret des délibérations du Conseil d’Etat en chargeant un de ses grands commis de prendre contact avec les auteurs de «?l’initiative 12?%?» après le refus du gouvernement de revoir l’imposition de la fortune. Mme Dittli conteste avoir informé son émissaire de la position gouvernementale. Quoi qu’il en soit, la situation politique exige certaines tractations et, fort de sa longue expérience dans les rapports avec les conseillers d’Etat, le signataire de ces lignes ne peut que sourire à la soudaine sacralisation du secret des délibérations?; celui-ci est observé sans doute pour toutes décisions d’espèce, mais les orientations politiques sont souvent plus ou moins dévoilées.

Le second reproche est plus sérieux. Mme Dittli aurait, dans la sombre histoire du «?bouclier fiscal?» – ce plafond de l’impôt sur la fortune évitant une taxation abusive, supprimé par mégarde par le Grand Conseil – demandé qu’on annule les taxations entrées en force de contribuables qui perdaient la protection de ce bouclier. Il s’agirait là d’une intrusion illégale de la magistrate dans le sphère de compétence de l’administration fiscale. Il faut toutefois remarquer ce qui suit?:

–  Cette demande n’est documentée que par un courriel de la secrétaire générale du département à la directrice de la fiscalité, indiquant?: «?[…] Voici le résumé de ce qui a été demandé par la CDFA (le chef du département)?: Arrêt temporaire des taxations des contribuables au bénéfice du bouclier et annulation des taxations déjà effectuées sur la période fiscale 2022 afin de permettre de trouver une solution transitoire qui respecte le principe de l’égalité de traitement.?» C’est donc une source indirecte, «?en résumé?» et non littérale. Mme Dittli dit n’avoir pas ordonné d’annuler des décisions concrètes, mais demandé qu’on examine les possibilités de les annuler. Même si le courriel est assez catégorique, faute de source originale incontestable, in dubio pro reo.

–  Mme Dittli dit avoir disposé d’un avis de droit indiquant que la révision d’une taxation entrée en force n’était pas exclue dans un certain cas?; elle n’a pas produit cet avis. La question juridique, certes délicate, se pose toutefois, car la jurisprudence interdit une imposition confiscatoire, contraire à la garantie constitutionnelle de la propriété.

–  La directrice des impôts a répondu à la conseillère d’Etat qu’une annulation n’était pas possible, sur quoi Mme Dittli n’a pas insisté et il n’en a plus été question. Rien dans le dossier ne contredit cette information, qui nous semble de première importance?: le chef peut se tromper?; si, averti de son erreur à l’interne, il se le tient pour dit, le problème semble réglé?!

–  L’abolition du «?bouclier fiscal?» est une sale affaire, qui a entraîné des taxations très lourdes, de vives protestations et la fuite du Canton de certains contribuables aisés. Compte tenu de cette erreur, où le Conseil d’Etat n’a pas les quatre pieds blancs et dont on n’a pas fini de parler (car la correction n’est pas acquise), il appartenait sans doute à la ministre des finances d’examiner comment essayer de corriger le tir.

Comme on voit, il ne reste pas grand chose à reprocher à la conseillère d’Etat centriste, peut-être même rien. Alors, pourquoi tant de chahut?? Qu’y a-t-il là-derrière?? Qui veut la tête de Mme Dittli??

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