Alexandre Voisard, 1930-2024 - La dernière lettre d’un poète
Alexandre Voisard s’en est allé. Ces derniers mois, je me suis plongé dans l’art du Canton du Jura en train de naître. Un livre et une expo «L’ Art de l’Autonomie» avait pour ambition de replonger le public dans la scène artistique locale à l’époque du plébiscite jurassien, dont on célébrait cette année le jubilé. J’ai parlé essentiellement des artistes plasticiens sans m’étendre sur la littérature, sujet trop ambitieux, mais j’ai été obligé de traiter deux poètes (en fait, trois). Le premier, Tristan Solier, car il a eu une production vaste et diversifiée dans les arts visuels en plus de ses textes. Puis Alexandre Voisard car il a réalisé avec le peintre Jean-François Comment un livre d’artistes qui est un poème illustré en six lithographies. Le poète a lui-même été mordre la pierre de son écriture. L’ouvrage commun s’intitule Liberté; quoique coûteux, il a paru à compte d’auteur en 1970 et fut très vite épuisé. A ces deux poètes, j’ai aussi ajouté dans la même vitrine Paul-Albert dit Pablo Cuttat, par ailleurs frère de Tristan Solier. Il devait y figurer aussi car avec Voisard, ils ont fait les quatre cents coups et notamment défendu au tribunal les militaires qui ont fait du refus de service un outil de protestation politique. Ces jeunes gens se sont appelés eux-mêmes des «objecteurs-patriotes» et à leurs procès, des poètes plaidaient. Quelle époque!
Cuttat et Voisard ont été édités par Bertil Galland. On m’a raconté que Voisard, par modestie, accusait ce dernier d’être à l’origine de tout le ramdam autour du «poète de la nation», que tout cela était dû à une sorte de «génie publicitaire» propre au Vaudois. Génie publicitaire ou simplement lucidité et sensibilité qui a su reconnaître et promouvoir une voix «donnant un sens plus pur aux mots de la tribu» pour citer un autre poète? Ce n’est pourtant pas Galland qui a fait réciter la foule à la Fête du Peuple. La modestie de Voisard semble bel et bien excessive.
Alexandre Voisard a milité très concrètement et a trouvé les paroles pour faire vibrer un peuple en entier. Par sa poésie, il a renforcé le ciment identitaire et donné un élan au combat autonomiste. Plus tard, il dirigera l’office de la culture du nouveau Canton.
Ses archives sont à Porrentruy. J’ai souhaité reproduire des photographies et il m’a fallu m’assurer de la bénédiction du principal intéressé. C’est ainsi que je l’ai eu au téléphone cet été. Il a bien voulu soutenir mon projet, je lui en ai su gré et lui ai bien sûr adressé l’ouvrage en septembre.
Mi-octobre, au lendemain de la nouvelle de sa mort, un courrier m’attendait dans ma boîte aux lettres. Coïncidence touchante, Voisard me remerciait d’avoir, «attentif et inspiré», correspondu à «la vérité des êtres et des événements». Il terminait par «au plaisir de vous rencontrer, ici ou là». Cela sera, ma foi, là-haut. Merci à vous, Monsieur le poète.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Les Jurassiens comme exemple – Editorial, Félicien Monnier
- Sauf sur l’essentiel – Alain Charpilloz
- Vu par Marcel Regamey – Ligue vaudoise
- D’abord l’unification ou la nation? – Quentin Monnerat
- Mon pays de cerise et de légende – Eloi Chevalier
- Un magnifique armorial jurassien – Olivier Delacrétaz
- Trente glorieuses pour l’art et pour l’autonomie – Jean-Blaise Rochat
- La diversité contre les différences – Jacques Perrin
- Conseillers aux Etats centralisateurs – Jean-François Cavin
- Justin comme Donald – Le Coin du Ronchon